Sud Radio - En toute liberté
(Tableaux Caroline Tresca, Galerie Martine Moisan, Paris 2ème)
Nuit blanche. Comme la lumière du Cap Nord quand le jour s'évapore en plein après-midi. Comme l'encre de Chine où s'éveillent les anges, les colombes, les diables et les ombres divines échouées au beau milieu d'une page blanche. Et robe blanche, celle des îles vierges, des petits filles du dimanche ou celle d'un ciel de traîne. Robe de mariage. Le noir, le blanc et les mirages. Mousselines vaporeuses des danseuses de Degas. Blanche, la note qui s'accroche et qui dure. Ou la fumée qui sort en chignon dans un ciel d'ardoise. Tableau noir des phantasmes du monde. Et des milliards d'yeux-sémaphores à la ronde qui veillent. Comme de blanches sentinelles. Comme une peau laiteuse noyée dans un sombre taffetas. Comme les contrastes chers à Caroline Tresca.
Le jour, le contre-jour, le contre-joue aussi. Visages lumineux, graves, naïfs mais tourmentés, courbures bordées de sombre comme des ombres portées. Aux âmes de rose blanche. Blêmes aplats, pales appâts et regards divisés. Grilles de maux croisés. Perspectives chavirée et visages de pleine lune signés par une chercheuse de vérité. Et quand on cherche la vérité on ne peut pas faire sans blanc.
C'est une dame-broussaille aux yeux de merlan frit, le sourire en pagaille. Avec ses seins-poissons en gueule de murène, aux douze coups de minuit, la dame-broussaille s'écaille, devient une sirène. Morale de cette histoire en queue de poison : il faut savoir nager en nos troubles. Signé, la dame double.
Clara était toute en langueur. Dégingandée au fil des heures. Clara c'était la star de la famille. Une tête à clap au teint d'vanille. Toujours dans ses petits souliers avec une vraie dégaine de va-nu-pieds.
On aurait dit une amphore, un vase carolingien, une baigneuse début d'siècle sur la plage du Lido. A part son ventre, en avance d'un métro, qui la faisait irrésistiblement s'envoler vers la mer, Marie ne pensait qu'en arrière. Souvenirs mélos. Mais l'eau c'était son abri, son Atalante. Autant en emporte le ventre.
De dos, une courbure, la vie comme une rature, arrondi en amorce, visage comme une écorce que l'on recouvre. Avec un front de neige, ébauche d'un bout d'peau greige à peine suggérée. Les yeux comme des manèges. Tourneboulés. Farandole volage. Silhouette de collège. Vie de collages. Une fille sans âge.
Et caresser un corps les yeux fermés. En corps et encore. La pulpe des doigts en éveil qui mémorise les monts, les merveilles, de la chute des reins au rebond de la fesse jusqu'au pli supérieur de la cuisse. Et suivre les velours plus ou moins lisses jusqu'au creux du genou, le galbe du mollet et le talon d'Achille pour s'en venir mourir à l'intérieur du pied. Remonter, somnambule, là où tout s'articule, l'omoplate-pirate, la clavicule et puis le cou-brindille. Là où la peau s'étire et s'affine tout-à-cou. Et garder en mémoire dans la paume, jusque dans les phalanges, la moindre cicatrice. Comme une audace, une dédicace ou un signe des anges. Sentir entre ses doigts couler le grain de peau. Dans un désert de mots. Et le regard descend. Décent ou indécent. Incandescent toujours.
Elle avait le regard Pôle Nord, l'air glacé des sans remords. Fausse froideur ? Pudeur tranchante ou bien tout simplement timidité à larme blanche ?
Elle avait les cheveux en rideau de théâtre. Et le visage-plâtre en halo de lumière. Le nez à la poursuite d'un petit menton fier et pointu en flèche vers son corps tombant et tellement menu. J'avais toujours connu Appoline dans son fauteuil roulant, les mains préoccupées par une tapisserie, le regard tapissé de sombres sentiments.
Ainsi l'avait-on surnommée parce qu'elle semblait toujours enveloppée dans un linceul d'ange, comme découpée dans un papier-carbone, mélange. Mais l'ange-gardien était bien là. Tournant le dos à ses taffetas. Bouc-émissaire. Bouquet-mystère. Qui protégeait ses p'tites épaules fleuries en les couvrant d'une neige éternelle. Laura avait un ange-jumeau qui lui collait depuis toute petite à la peau. Silhouette-nacelle.
Avait des airs d'aubépine. Blanche et rose tendre. Qui lui faisaient une mine hors du temps. Victorine ma poupée d'porcelaine aux rouleaux de printemps n'aimait en son jeune temps que lavis en vitrine.
Celles qu'on se dit, corps arrondis, à la fin de la nuit. Quand on chasse le sommeil jusqu'au pied de son lit et qu'on se love contre l'autre. Et qu'un ventre se vautre contre un long dos arc-bouté, pesant. Paroles d'aube et petit matin crème. Petits mos échappés de la nuit qui tombent dans une oreille, lourde. Petits mots doux qu'on rêve ? Petits phantasmes sourds ? Petits sourds entendus ? Parole d'aube comme une union solennelle.
Nuit blanche. Avalanche. De questions. Drame qui se trame dans le silence tonitruant de faces de lune qui tournent en rond. Souffles cosmiques sur l'épiderme qui gronde. Des bonheurs et des apocalypses qui se bousculent au portillon. Ta page nocturne : deux visage blanc-gypse comme deux anneaux de saturne. Mais peut-être que Saturne pas rond ?
Blanche, depuis un an, vit un feu d'artifice : bleu, jaune, marine, cheveux rouge vif. Comme si toutes ces couleurs jaillissaient d'une mémoire perdue sans espoir. O rouge, ô désespoir ? Elle répètait doucement et, du matin au soir, qu'il faut, quoiqu'il en soit, blanchir les souvenirs. Et exhiber le rouge comme une ultime douleur. Comme un ultime délire. Ultime révolte de la couleur. Mais jamais elle ne nous racontait sa longue vie dans le noir.
Les mauvais du village l'appelaient Le nain jaune. Ou bien Moisson d'avril. Il n'aimait que les psaumes et vivait sur son fil, entre le ciel et l'aube. Son livre de prières, c'était sa maternelle. Sa maman, sa récré, sa marelle. Et puis le soir, il s'enfuyait par le toit de l'église, s'asseyait sur les tuiles, faisait ses vocalises. Et il disparaissait jusqu'au petit matin.